samedi 27 septembre 2014

Travail obligatoire en prison : retour sur un marronnier du droit prénal

samedi 27 septembre 2014 | Tags: , ,
travail obligatoire vs droit au travail
En France, le travail n'est plus obligatoire pour les détenus depuis 1987, mais régulièrement le débat revient au devant de la scène surtout en temps de crise économique car, c'est bien connu ma bonne dame, les prisonniers coûtent cher et ils ne travaillent même pas ! C'est une histoire d'argent en fait car, soyons réaliste, le fait que le travail puisse contribuer à la réinsertion n'est qu'un argument secondaire.

C'est ainsi que le 17 septembre dernier, un député a déposé une proposition de loi  visant à réintroduire l'obligation de travailler en prison. Cela n'a rien de nouveau puisque, par exemple, en 2011, des députés avaient déjà déposés une proposition dans le même sens et ... elle n'a jamais été examinée. Pourquoi, me demanderez vous ? J'imagine que si on interrogeait des députés il nous répondraient : "on n'a pas eu le temps" ou "on a d'autres choses plus importantes à traiter ". 

Pour ceux qui s'offusqueraient d'une telle proposition, je rappelle que, contrairement à ce que vous pourriez croire, le travail obligatoire en prison n'est pas illégal et n'est pas du travail forcé (voir article 4 de la Convention européenne des droits de l'homme). D'ailleurs, de nombreux pays ont adoptés un tel système (Allemagne, Angleterre et Pays de Galles, Hongrie, Italie, Pays-Bas....).

Alors quelles raisons sont avancées pour revenir au travail obligatoire ?

Evidemment, la première est "la charge financière que font peser les détenus sur les finances publiques de notre pays" (dixit le député). Donc, selon lui, en faisant travailler les détenus, nous ferions des économies. Admettons, mais si tous les prisonniers se mettaient à travailler, il faudrait les payer, ce qui fera donc une dépense supplémentaire pour l'Etat. Je vous rassure, à l'heure actuelle, les détenus actifs sont payés très, très, très en dessous du SMIC (entre 20 et 45 % du SMIC). Pourtant, le Code pénal prévoit dans l'article D433 que la rémunération des détenus doit "se rapprocher autant que possible de celles des activités professionnelles extérieures" (ne rigolez pas !)

Evolution du travail en prison
Obligatoire ou non, le travail des détenus n'a
quasiment pas évolué depuis 1978 alors que le
nombre de détenus a presque doublé (source: Sénat)
Poursuivons le raisonnement. Aujourd'hui, nous avons, selon les dernières statistiques d'août 2014 [pdf], un peu plus de 50.000 détenus (en excluant les 17.000 prévenus qui attendent un procès et qui ne seraient pas concernés par la proposition) dont seul 30% travaillent. Même en retenant un salaire de base de 20% du SMIC, on aboutit à :

(1445€ x 20%)x(50.000 x 70%)= 10.115.000 €

Là je vous vois admiratif sur mes compétences en mathématiques. En tout état de cause, cette proposition coûterait donc au bas mot 10 millions d'euros ... Bien sur, le travail fourni aura une valeur pour les "employeurs" (le mot est mal choisi puisque le travail des détenus n'est pas régi par le Code du Travail. Mais, bon, je n'allais pas utiliser les mots esclavagiste ou exploiteur qui, avouez-le, sont quelques peu excessifs), mais la réalité est que la productivité du travail en prison est très faible.

D'ailleurs, qui sont les bénéficiaires du travail des détenus ? D'abord, le service général d’entretien des établissements pénitentiaires (mais là c'est du bénévolat total) et, ensuite la régie industrielle des établissements pénitentiaires ainsi que des entreprises privées qui bénéficient d'une concession. Bien sur, ces bénéficiaires ont une main d'oeuvre bon marché (et sans cotisations sociales ... là, je sens que je commence à intéresser les entrepreneurs) mais les détenus sont nettement moins compétitifs que si vous délocalisiez vos activités car la durée du travail est limitée par des impératifs de sécurité (contrôle, fouilles...) mais aussi par la faible qualification des travailleurs.

Le chômage en prison
Les emplois maquent en prison ... mais certains pensent quand
même à le rendre obligatoire ! J'ai hâte de voir comment on
réussira ce tour de force.
En définitive, une telle proposition risque donc de coûter plus qu'elle ne rapporte ! Donc, exit la justification financière.

Bien évidemment, la proposition de loi contient d'autres motivations, plus philosophiques telles que : l'insertion par le travail, un travail permettrait aux détenus d'indemniser les victimes (et aussi payer les amendes auxquelles ils ont été condamnés ... faudrait pas oublier les caisses de l'Etat). Mais, bon, si vous lisez attentivement le texte, vous comprendrez que cela n'est pris en compte que comme un "effet positif" de la proposition et non comme une justification. Et oui, l'argent avant tout !

Ce qui est intéressant, c'est aussi ce que la proposition de loi ne prévoit pas :
  • D'abord, pas un mot sur le fait le droit du travail ne s'applique pas en prison, et donc que les détenus ne cotisent à l'assurance vieillesse. Donc, même en travaillant pendant 10 ans, cette période ne sera pas pris en compte dans ses droits à la retraite. Il faut d'ailleurs souligner que même la CEDH considère cela normal... alors, pourquoi s'en préoccuper ?
  • Ensuite, que fera-t-on si un détenu refuse de travailler : on le condamnera à une peine supplémentaire (pendant laquelle il serait sensé travailler) ou alors on l'enverra au mitard (qui est aussi en prison, donc il devrait y travailler !).
  • Comme je ne suis pas de mauvaise foi (comment ça, menteur !), il faut dire que si seulement 30% de ces condamnés travaillent en prison, ce n'est pas par manque de volonté, mais par manque d'emploi. En effet, les détenus sont souvent demandeurs car travailler c'est avoir de l'argent et donc pouvoir "cantiner" (s'acheter des choses que la prison n'offre pas). Bref, comme dans le monde libre, il n'y a pas, en prison, des emplois pour tous.
  • Et puis, il faut aussi penser au manque de place et d'infrastructures pour permettre le travail des détenus. Donc s'il faut agrandir les prisons pour que tous les détenus travaillent, cela aura un coût que, bien sûr, la proposition de loi ne prend pas en considération.
Enfin, il ne faut pas perdre de vue que si le travail devenait obligatoire en prison, en revanche, pour l'homme libre (je parle de l'être humain, Mesdames, je ne vous ai pas oubliées), le travail est juste un droit : le privilège de la liberté, c'est que travailler n'est pas obligatoire (bon évidemment, ça n'est vrai que pour les rentiers !). Le prisonnier lui, comme il est forcément méchant, il ne doit pas avoir le choix (non, mais !). Je ne suis pas sûr que les chômeurs (qui sont des fainéants, c'est bien connu) verront d'un bonne œil le fait que l'Etat devra donner du travail à des prisonniers alors que eux ils y ont droit mais ont du mal à en trouver.

Que l'on soit pour ou contre le travail obligatoire des détenus, il n'en reste pas moins que nos législateurs ont une fâcheuse tendance à faire des propositions sans prendre en compte l'ensemble des données du problème. Mais bon, à leur décharge, il faut dire qu'ils oublient souvent de demander leur avis à l'ensemble des acteurs concernés (là, j'écrase une larme de désespoir !).

Pour finir, je vous propose une petite vidéo trouvée sur le site du ministère la justice présentant les vertus du travail en prison, tant pour les détenus que pour entreprises les faisant travailler (j'avoue que je n'ai pas pu m'empêcher de sourire !!).



Et pour les plus courageux, je vous conseil la lecture d'un mémoire de 2007 intitulé "Le travail en milieu carcéral" [pdf], c'est très instructif.

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