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mardi 24 février 2015

Pourquoi les perquisitions de nuit sont-elles interdites ?

Pourquoi fait-on des lois ? La réponse est généralement parce que cela permet d'organiser les rapports entre les individus qui, sans règles, finissent par faire n'importe quoi. Bref, la règles juridiques ont une raison d'être, quelle soit bonne ou mauvaise. Les motivations d'un texte prennent souvent leur racine dans l'actualité ou dans des événements de société. Pourtant, même en cherchant bien, j'ai du mal à comprendre pourquoi, en matière pénale, il est interdit de faire des perquisitions de nuit  !

Perquisition de nuit
Tout d'abord, pour ceux qui ne sauraient pas ce qu'est une perquisition, deux options : soit vous abandonnez la lecture de ce billet et retournez vivre en ermite dans votre grotte, soit vous jetez un coup d'œil ici avant de poursuivre. Pour les autres, tout va bien vous devriez pouvoir suivre mais interdiction de vous moquer de vos petits camarades (si, si, je vous ai vu esquisser un petit sourire suffisant !).

Bon, trêve de prolégomènes (j'aime bien ce mot qui remplace "blabla" et fait beaucoup plus savant !) et voyons ce que nous dit l'article 59 du Code de procédure pénale :
"Sauf réclamation faite de l'intérieur de la maison ou exceptions prévues par la loi, les perquisitions et les visites domiciliaires ne peuvent être commencées avant 6 heures et après 21 heures."
La règle est claire : pas de perquisition la nuit. Bien évidemment, comme tout principe juridique, il y a un litanie d'exceptions notamment en matière de stupéfiant, de proxénétisme et de traite d'être humain, ainsi que pour toute une une série de crimes et délits (article 706-73).

Si vous lisez attentivement ces différents textes (je note les noms de ceux qui ne l'auront pas fait), vous constaterez que l'on ne vous explique pas pourquoi la police ou la gendarmerie ne pourrait pas venir vous rendre une petite visite courtoise pendant votre sommeil. Il faut donc aller chercher ailleurs.

On peut déjà aller voir un bulletin officiel du Ministère de la Justice dans lequel on vous explique qu'il existe des "exigences constitutionnelles qui garantissent l'inviolabilité du domicile d'une personne au cours de la nuit". J'en déduit que la nuit le domicile est inviolable (et le jour, non ?) et que ce serait un principe constitutionnel.

Humour juridique - Perquisition de nuit
Alors, sachant que la Constitution elle même ne parle pas l'inviolabilité nocturne du domicile (la Constitution de 1958 renvoi à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui dit uniquement que "la propriété [est] un droit inviolable"), on est obligé de se tourner vers le Conseil Constitutionnel qui, dans une décision de 1996, nous explique que, parmi les "principes et droits de valeur constitutionnelle [...] figurent la liberté individuelle et notamment l'inviolabilité du domicile".

Et la nuit dans tout ça ? Nulle mention. Alors, je me suis dit qu'il fallait aller cherche plus loin et on s'aperçoit alors que l'interdiction de pénétrer dans un domicile de nuit remonte à la période révolutionnaire puisque dans l'article 76 de la Constitution de l'An VIII (1799), il était déjà indiqué que :
"La maison de toute personne habitant le territoire français, est un asile inviolable. Pendant la nuit, nul n'a le droit d'y entrer que dans le cas d'incendie, d'inondation, ou de réclamation faite de l'intérieur de la maison."
Bon d'accord, mais pourquoi ? Qu'est-ce qui motive cette interdiction de faire une perquisition durant la nuit ? Que ce passe-t-il entre 21h et 6h expliquant que le domicile devient alors totalement inviolable ? Comme il serait vain de chercher une explication légale, je vais vous proposer plusieurs très bonnes raisons :
  • Parce que la nuit, on n'y voit rien alors comment la police va-t-elle pouvoir fouiller la maison ... ça c'était vrai avant l'invention de l'électricité et même de la bougie.
  • Parce qu'on ne veut pas déranger les gens dans leur sommeil ... bah oui, dormir est un droit qui devrait avoir une valeur constitutionnelle, non ?
  • Parce que violer un domicile le jour c'est pas grave, mais la nuit c'est pas bien !
  • Parce que la nuit les enfants dorment, alors chut... c'est déjà pas facile de les faire se coucher !
  • Parce que la nuit est un moment de calme (et parfois de volupté) ... alors faudrait voire à pas nous déranger, ma bonne dame !
  • Parce que la nuit, on a beaucoup plus de chance de trouver les gens chez eux ... autant attendre qu'ils soient au boulot pour pénétrer chez eux !
Si jamais vous avez une meilleure explication, je suis preneur !

jeudi 19 février 2015

Dans l'univers étrange du tribunal de commerce !

La justice est souvent un monde étrange, avec des règles et des codes qui échappent au commun des mortels (oui, je parle de vous, justiciable qui n’avez encore jamais eu l’occasion d’être confronté à des juges). Un bon exemple est celui des ésotériques audiences de mise en en état devant le Tribunal de Commerce. Comme de longs discours sont moins efficaces qu’une illustration, voici (sous vos yeux ébahis et pleins d’admiration … modestie, ça veut-dire quoi ?) la journée type d’un novice qui se rendrait pour la première fois devant la juridiction consulaire (pour ceux qui l’ignorent, c’est une autre manière de dire Tribunal de Commerce et puis ça m’évitais une répétition).

Les lois sont complexes, mais le langage des juges l'est tout autant
*
*     *

Voilà des semaines que vous attendiez et voilà, enfin, vous allez assister à votre première audience du Tribunal de Commerce. Cette fois vous espérez bien que votre fieffé gredin d'entrepreneur et son assureur vont payer, et ils ont beau dire que ce ne sont pas leurs travaux qui ont causé la fuite qui a inondée votre boutique, toutes les preuves sont contre eux !

Voilà 6 mois que l'incident a eu lieu et toutes vos tentatives de négociations amiables n'ayant pas abouties, vous aviez décidé de saisir le Tribunal. Comme vous êtes sûr de votre bon droit, vous vous étiez dit que vous n'alliez pas prendre un avocat, d'autant que ça n'est pas obligatoire. Vous aviez donc trouvé sur internet un joli modèle d'assignation et vous aviez demandé à un huissier de la signifier à vos adversaires ! 

Depuis, vous avez attendu avec impatience ce jour et, ce matin, vous vous êtes levé confiant. Après avoir avalé votre café, vous avez attrapé votre dossier avec tous les documents prouvant que si vous avez dû fermer la boutique pendant plus de 2 mois c'est uniquement la faute de ce chauffagiste qui, en refaisant votre installation, a percé la tuyauterie causant des dégâts considérables, avec des travaux de réparations faramineux sans compter une perte de chiffre d'affaire qui vous met, aujourd'hui encore, dans l'embarras.

Tribunal de commerce
Je me demande bien pourquoi ce justiciable
a l'air si déprimé à l'idée d'assister à une
audience du tribunal de commerce ? 
Arrivé au tribunal, vous vous sentez un peu inquiet.

Pour l'instant, vous n'avez pas aperçu votre adversaire mais bon, c'est peut être mieux comme ça et puis il est seulement 9h15 et l’audience ne commence que dans un quart d’heure. Vous vous dirigez vers la salle d'audience dans laquelle il y a déjà pas mal de monde, et surtout vous voyez que les premiers rangs sont occupés par les hommes en noir (non, pas les Men In Black, mais les avocats drapés dans leurs robes !). Vous avancez un peu dans la salle et finissez par vous asseoir derrière un avocat à qui vous tentez d'adresser la parole :

-    Excusez-moi, Maître ? Est-ce que vous savez dans quel ordre passent les affaires ?   
-    Oui, bien sûr ... regardez le rôle !
Et là, il vous tourne ostensiblement le dos, en saluant l'un de ses confrères. Vous comprenez qu'il n'est pas utile d'insister, mais fort heureusement, vous entendez l'un de vos voisins dire qu'il était en "40ème position sur la liste".

-    Pardon, je vous ai entendu parler d'une liste des affaires, est-ce que vous savez où...    
-    Oui, oui, regardez juste à gauche de l'entrée de la salle, c'est affiché sur des panneaux.

Vous sortez rapidement de la salle et vous apercevez effectivement 4 grands panneaux de plus d'un mètre de haut sur lesquels figurent des dizaines de feuilles. Evidemment, les affaires ne sont pas listées par ordre alphabétique et c'est donc après plus de 5 minutes que vous découvrez que vous êtes la 132ème affaire avec le numéro 2015033422.

Vous sentez déjà que ça va être long, mais bon, depuis le temps que vous attendez que votre affaire soit jugée.

Comment s'organise le tribunal de commerce
Avec leurs robes noires, ils se ressemblent tous
au Tribunal de commerce !
Soudain, une sonnerie retentit, tout le monde dans la salle se met debout (ce qui vous rappelle votre scolarité) et trois juges s’installent, derrière le grand bureau situé en hauteur (est-ce que ça veut dire que les juges regardent les justiciables de haut ?). Il y en a un autre qui s’assoit tout seul à droite (bon, en fait lui n’est pas juge, c’est le greffier mais bon comme il est habillé comme les autres, difficile de le distinguer) et, sans plus de cérémonie, il appelle une première affaire :
« 2014012543 ... Société Cominex contre l’URSSAF»

Deux avocats s’approchent des juges :
-    Monsieur le Président, je dépose des conclusions…, dit l’un,
-    … je souhaite pouvoir y répondre, continue l’autre.
-    Pour réplique, annonce le juge situé au centre.

Et tout ce petit monde retourne à sa place pendant que le greffier annonce une deuxième affaire. Là, pour être honnête, vous n’avez pas bien compris ce qui s’était passé… et malheureusement ça ne va pas s’arranger.

Les affaires défilent avec des avocats qui ne disent pas plus de trois mots et un juge qui répond avec des phrases sibyllines du genre : « Pour communication », « Pour conclusions », « Pour solution », « A l’audience de Monsieur Lerni ».

Mais de quoi parlent-ils ?!? Et puis, pourquoi chaque dossier ne dure que quelques secondes sans que les avocats ne plaident pas ? Plus vous voyez les affaires défiler, plus vous avez l’impression d’être tombé dans un monde étrange avec des habitudes et des codes obscurs.

Après plus d’une heure, vous entendez enfin le nom de votre société et vous vous levez rapidement, votre dossier complet en main. Vous avancez vers les juges tout en réalisant que, sur votre gauche, un avocat s’est également approché. Les deux juges qui, depuis le début de la matinée n’ont presque jamais ouvert la bouche, semblent mourir d’ennui, mais le Président vous regarde quant à lui avec bienveillance. Avec, un grand sourire, il vous dit :

-    Bonjour Monsieur, vous êtes le gérant de la société ?
-    Oui !
-    Vous avez un Kbis et une pièce d’identité ?
-    … euh, oui, oui … attendez.

Heureusement que l’on vous avait prévenu ! Vous fouillez nerveusement dans votre dossier et tendez les documents demandés que le juge regarde brièvement avant de se tourner vers l’avocat :

-    Maître ?
-    Oui, Monsieur le Président, je viens d’être saisi et je n’ai pas les pièces de mon contradicteur !
-    Très bien, alors … renvoi pour communication !

Normalement, ça ne devrait pas vous faire rire ... ou alors c'est
que vous êtes juristes (je vous plains!)
Avec stupeur, vous voyez le juge refermer le dossier, l’avocat tourner les talons et retourner s’asseoir et, voyant votre perplexité, le juge se fend d’une petite explication :

   Monsieur, il faut adresser à l’avocat adverse toutes les pièces que vous entendez produire.
-    Mais, il les a déjà, je les ai envoyée à son client …
-    Oui, mais il faut les communiquer à l’avocat, Monsieur, c’est la procédure… affaire suivante !

Vous comprenez qu’il serait vain d’insister, alors vous rebroussez chemin d’un air penaud, ne comprenant pas très bien ce qui vient de se passer. En revanche, ce qui est sûr, c’est que votre affaire est loin d’être jugée !

*
*     *

Ah les joies des audiences de mise en état devant le Tribunal de commerce ! Je vous assure que je caricature à peine. Bon, comme ce billet est déjà un peu long (je suis bavard, je sais), je ne vais pas vous faire ici une explication de texte … ça fera l’objet d’un autre post … Et puis si vous vous sentez frustré, sachez que c’est volontaire … J’entretiens le suspense !

pages prec. suiv.