Vous avez besoin que vos collègues de travail vous offrent des jours de congés payés pour que vous puissiez être au près de votre enfant malade ? Fort heureusement, vous n'avez pas attendu qu'une loi vous y autorise puisque, dans la pratique et le monde réel, cela pouvait déjà se faire. Sachant que ce que la loi n'interdit pas est permis, quels peuvent bien être les apports de la loi sur le don de congé, adoptée récemment ?
- Mesdames et Messieurs les députés, nous avons tous été émus de l'élan de solidarité dont ont sût faire preuve les salariés de la société Phylou & Cie en faisant don, si généreusement, de leurs jours de congés à l'un de leur collègue pour qu'il puisse être aux côtés de son fils gravement malade...
- Oui, c'est une preuve de la bonté humaine ...
- Vous avez pu constater que ce geste de fraternité s'est fait spontanément, avec l'accord de l'employeur, alors même qu'aucune loi ne le prévoit. Puisque tout c'est bien passé sans que les législateurs que nous sommes n'interviennent, je propose donc que ... nous fassions une loi ! (Applaudissements dans l'hémicycle)
Ce dialogue n'est malheureusement pas fictif puisque le 9 mai dernier a été adoptée la loi permettant le don de jours de repos à un parent d'un enfant gravement malade. Ce texte avait été proposé en 2011 à l'Assemblée Nationale et s'inspirait de l'histoire d'un salarié de la société Badoit auquel certains de ses collègues avaient fait don de jours de RTT pour qu'il puisse rester auprès de son enfant malade (si vous voulez lire l'histoire et verser votre petite larme, lisez cet article du Monde). En 2012, les députés avaient votés un texte qui a été transmis au Sénat, mais comme la poste marche mal apparemment, il aura fallu attendre deux ans pour que les sénateurs puissent examiner le texte.
Entre temps, plusieurs entreprises, qui n'ont pas attendu qu'une loi soit votée, ont conclu des accords permettant de faire don de jours de repos pour permettre à un salarié d’accompagner un enfant malade. Ce fut le cas notamment dans la société Merial en 2011, dans le Groupe Casino en 2012 [pdf], la mutuelle agricole MSA la même année ainsi que quelques autres.
Alors pourquoi cette loi qui crée deux nouveaux articles dans le Code du travail (L. 1225-65-1 et L. 1225-65-2 ... si une telle numérotation vous étonne, je vous conseil de lire cet article) ? Petit tour des arguments avancés par nos députés et sénateurs pour justifier une loi que rien ne justifiait :
Catherine Deroche |
- car seules les grandes entreprises « où la négociation professionnelle est la plus active [...] offrent à leurs salariés la possibilité de mettre en œuvre ce mécanisme de solidarité. Les salariés des autres entreprises ne disposent d’aucun moyen de faire don des jours de repos dont ils disposent » (propos de Catherine Deroche au Sénat) ... oui, enfin sauf que la loi ne change rien puisqu'il faut l'accord de l'employeur qu'il s'agisse d'une petite ou d'une grande entreprise.
- car les dispositifs existants (congé de présence parentale, congé de solidarité familiale, congé pour enfant malade) sont insuffisants ... sauf que, dans ce cas, il faut améliorer l'existant plutôt que de créer une loi qui d'ailleurs n'ajoute pas un nouveau dispositif mais se contente de l'inscrire dans un texte.
-
Paul Salen - car « même si un texte n’était pas nécessaire, il est à notre sens important, essentiel, que les recours possibles dans des situations de détresse puissent être inscrits dans le corpus législatif, assurant de la sorte une plus grande publicité du dispositif » (propos de Raymond Durand à l'Assemblée Nationale) ... ça se confirme, la loi sert à faire de la publicité !
Bon pour être tout à fait honnête, la loi apporte tout de même plusieurs modifications notables :
- tout d'abord, les fonctionnaires pourront eux aussi faire dons de leurs congés (ceux qui ont pensés qu'ils en ont déjà trop seront punis) ;
- ensuite, cela concerne uniquement les enfants des salariés ... si c'est votre mari, votre femme, votre grand-mère ou votre belle-mère ce n'est pas possible ! Pourquoi ? Pour la belle-mère, on comprend mais si c'est pour votre conjoint(e) gravement malade, et bien non vos collègues n'ont pas le droit d'être solidaire (c'est vrai que la solidarité et les enfants malades c'est plus vendeur qu'avec un vieux moustachu qui agonise)
- par ailleurs, le don sera possible que si l'enfant du salarié à moins de 20 ans ... donc à 21 ans l'enfant malade ne compte plus. C'est vrai qu'après tout, il est majeur à cet âge là et qu'il peut bien s'occuper tout seul de sa maladie quand même !
- enfin, il faut quelqu'un de « gravement malade nécessitant une présence soutenue ou des soins contraignant » ... et ce sera attesté par un certificat médical. J'imagine déjà le contentieux pour définir la notion de "gravité".
En revanche, la loi n'a pas prévu les débordements et abus que la pratique des dons de congés va inévitablement générer (ce n'est pas que je sois cynique mais l'expérience m'a rendu lucide sur la nature humaine).
Pour bénéficier de ces dons, il faudra être très gentil avec vos collègues : n'allez pas pas trop les saouler avec vos ennuis, proposez de faire une partie de leur travail, soyez un bon comédien pour attendrir et/ou faire culpabiliser vos collègues qui ne voudraient pas faire un don pour un pauvre enfant malade. Inversement, vous risquez d'être obligé de négocier un don et là, c'est le début d'un marché noir des congés payés ... Bref, ne risque-t-on pas d’assister à des pressions, à des conflits si des salariés ne peuvent pas, voire ne veulent pas donner des jours de repos ?
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