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dimanche 28 décembre 2014

Être condamné aux dépens, est-ce que ça fait mal ?

Le verdict vient de tomber, le Tribunal de Grande Instance vient de rendre son jugement dans le procès que la société Phylou et Cie, dont je suis le président dictateur général, vous avait intenté. Malheureusement pour vous, vous avez perdu. Et, alors que vous lisez le jugement rendu par le Tribunal, vous apercevez en dernière page et à la toute fin de la décision une petite phrase qui vous annonce que, non seulement vous devrez me payer une somme pour les frais d'avocat de votre humble serviteur (si, si, regardez bien le paragraphe qui vous annonce que vous êtes condamné à quelques milliers d'euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile... voilà, c'est ça!), mais, en plus, vous êtes condamné aux dépens.

Humour juridique
Au premier abord, vous pourriez penser que c'est une phrase toute faite du genre de celle que l'on retrouve souvent dans les documents juridiques (comme par exemple "Pour faire valoir ce que de droit" ou encore "Sous toutes réserves") et qui, en principe, ne porte pas à conséquence. Mais, autant vous le dire tout de suite, votre condamnation aux dépens vous allez en sentir les conséquences !

Déjà, si vous essayez de trouver un synonyme de "dépens" vous trouverez "frais" ... ce qui signifie donc que l'on va toucher à votre portefeuille. Si vous poussez vos recherches un peu plus loin, vous apprendrez que les dépens sont des frais liés au déroulement du procès et, si vous êtes encore plus curieux (et courageux), vous irez même lire l'article 695 du Code de procédure civile qui vous donne une liste de tous les frais qui se cachent derrière ce terme.

A partir de là, vous devriez commencer à vous inquiéter car la liste est longue et, en plus, vous y trouverez des choses dont vous ne saurez pas à quoi ils correspondent comme par exemple les "débours tarifés", les "émoluments", le "droit de plaidoirie"... Ce qui devrait également vous alarmer c'est que sur la plupart des sites on n'évoque jamais le montant de tous ces frais.

Alors je vais essayer de vous donner une petite idée de ce que vous aller devoir débourser. Il y a d'abord des sommes qui reviennent à l'institution judiciaire dont les frais d'enquête sociale (entre 600 et 700 €), la traduction d'actes et la rémunération d'un éventuel interprète, mais surtout le coût des expertises judiciaires, et là, les montants sont très variables puisque ça va de quelques centaines d'euros jusqu'à plusieurs dizaines de milliers d'euros selon le type d'expertise, le temps passé par l'expert... votre carte bleue peut donc sacrément chauffer, je vous le dis !

Ensuite, il y a des sommes qui reviendront à mon avocat et qui n'ont rien à voir avec ses honoraires (pour ma part j'ai renoncé à essayé de comprendre la justification de tous ces frais). La liste est relativement longue : 
Calcul du droit proportionnel
Le droit proportionnel
  • un droit fixe (6,59 € HT ... si vous avez cliquez sur le lien;, vous allez vous insurger car le texte parle de 5,49€. C'est vrai, mais un texte "provisoire" de 1975 prévoit une majoration de 20%), 
  • un droit proportionnel qui est un pourcentage dégressif des sommes qui vous étaient demandées par l'adversaire (voyez l'article 4 d'un décret de 1960 et ajoutez y la majoration de 20% évoquez ci-dessus) et, lorsque l'enjeu du procès n'est pas financier on parle de droit variable (entre 6,59€ et 131,89€ HT ... et là il faut lire avec attention les articles 13 et 14 du décret de 1960).
  • un droit de plaidoirie (13 € TTC), 
  • un droit gradué (comptez 15 € en général), 
  • les débours qui sont notamment des frais de photocopie (à raison de 0,39 € TTC par page pour les conclusions et les pièces communiquées, ce qui peut donc vite grimper) mais aussi les "actes du palais", c'est à dire des actes que votre avocat notifie à votre avocat adverse par l'intermédiaire d'un huissier audiencier (constitution, conclusions, bordereau de communication de pièces... qui vous coûterons chacun  1,10€ ... juste pour le plaisir, allez voir le décret de 1996 sur la tarification des frais d'huissier, tableau II, n°42 .... c'est tellement claire ! ).
Bien sûr, j'en oublie certainement et puis ces règles connaissent de très nombreuses exceptions... ce qui est un grand classique du droit où tous les principes ont des exceptions, sinon ce serait beaucoup moins drôle ! Et puis c'est pas comme si on nous rabâchait qu'il faut simplifier le droit.

Enfin, vous avez aussi les sommes qui vont directement aller dans ma poche en plus des dommages et intérêts mirifiques que le Tribunal m'a accordé. Il s'agit notamment du remboursement des frais d'huissier que j'ai dû payer pour vous faire délivrer l'assignation et vous notifier le jugement (en moyenne, il faut compter entre 50 et 100 € par acte d'huissier).

Mis bout à bout, vous sentez bien maintenant que votre condamnation aux dépens n'est pas juste une phrase anecdotique ! Comme je suis éminemment pervers, je jubile intérieurement. Bien sûr, comme vous aurez  du mal à évaluer vous même le montant des dépens, votre premier réflexe sera de téléphoner à votre avocat, mais il y a de grandes chances qu'il puisse pas vous répondre clairement tant le calcul des dépens est compliqué. D'ailleurs, ce qui devrait vous rassurer, c'est justement que du fait de la complexité des calculs, vous avez de grandes chances que l'avocat adverse ne réclame pas les dépens car il n'a pas envie de perdre son temps à vous préparer son "état de frais".

Mais, rassurez-vous, moi je vais m'empresser de vous adresser la note. Et puis, je vous déconseille de faire appel de ce jugement car, si vous perdez à nouveau (ce qui est certain vu la qualité de mes arguments juridiques), il faudra ajouter à ces dépens ceux de la procédure d'appel !
Voilà un exemple d'état de frais
Et voilà un exemple d'état de frais, maintenant il ne vous reste
plus qu'à me payer... et avec le sourire, s'il vous plait !

dimanche 18 mai 2014

Limite de propriété, quand la guerre de voisinage fait rage !

A l'échelle internationale on parle de guerre pour préserver ses frontières et son territoire. Au niveau individuel, on parle de conflits de voisinage où l'on se bât pour conserver sa propriété contre un voisin qui tente d'y porter atteinte. La question de la limite de propriété, véritable frontière entre deux terrains est la source d'une légion de procès dont les enjeux sont parfois énigmatiques.


Conflit de voisinage ou guerre frontalière ?
Les litiges entre voisins mènent parfois à la guerre !
Les rares fois où la télévision ne parle pas de droit pénal, l'un des sujets de prédilection de certaines émissions populaires (vous savez celles où des avocats très sûrs d'eux n'hésitent pas à jouer les chevaliers blancs) est le conflit de voisinage, source inépuisable de sujets bien racoleurs pour le spectateur-voyeur qui se délecte de ce type de conflits où deux voisins s'écharpent pour des motifs souvent futiles. Mais, les tribunaux aussi regorgent de ce genre de litiges dans lesquels l'enjeu légal est souvent le droit de propriété, mais dont l'enjeu profond est souvent lié à des conflits personnels.


La propriété est un droit imprescriptible (article 2227 du Code civil) et lorsque l'on parle d'immobilier, on rentre dans un domaine où le propriétaire d'un terrain, d'une maison ou d'un immeuble est souvent prêt à se battre jusqu'au bout pour faire respecter "ses" droits. Ces droits sont multiples et une grande partie se trouve dans les articles 637 à 710 du Code Civil qui parlent notamment des relations entre propriétaires voisins et notamment des limites de propriété. Quelques exemples :
  • savoir qui a le droit de toucher au mur qui sépare deux propriétés (que de litiges fascinants autour de la question de savoir si un mur est privatif ou mitoyen !),
  • interdire à son voisin de planter un arbre à moins de 2 mètres de la clôture du voisin si votre arbre fait plus de 2 mètres de haut,
  • déterminer si je peux couper les branches de l'arbre de mon voisin qui empiètent chez moi,
  • savoir si je peux faire une tarte avec les pommes du pommier de mon voisin tombées dans mon jardin, 
  • interdire à mon voisin de percer une fenêtre dans son mur qui est à moins de 1,90m de la fenêtre de mon salon (il faut que je fasse respecter ma vie privée quand même... bon alors, ou j'en étais, ah oui, j'allais mettre toutes les photos de la soirée d'hier soir sur Facebook...),
  • faire détruire la maison de mon voisin car l'eau qui coule sur son toit tombe chez moi ...
Trouble du voisinage

Les quatre principales causes de litige
rencontrées par les français
,
sur juriflex.com
Bref, vous voyez que les sujets de conflits liés à la notion de limite de propriété sont multiples. Et les propriétaires n'hésitent pas à saisir les tribunaux à la moindre occasion. Quel juge ou avocat n'a pas eu à traiter un dossier ou deux propriétaires s'affrontent parce que la gouttière dépasse de 10 cm au dessus du terrain voisin. 

Bien sûr, il ne faut pas généraliser mais, dans ce genre d'affaires, les motifs pratiques et légaux du conflit semblent bien souvent dérisoires et on pourrait espérer que des voisins parviennent à trouver un terrain d'entente. Toutefois, dans la réalité, la bataille juridique est souvent un prétexte pour régler des conflits plus personnels, du genre : l'année dernière, le fils de mes voisins a cassé un pot de fleur avec son ballon et les parents n'ont rien dit, alors vous voyez ma bonne dame, si personne ne réagit, tout va à vau-l'eau.

Il y a aussi des propriétaires qui vous diront que c'est une affaire de principe; on ne touche pas à la propriété d'autrui. Peu importe l'importance de la gêne, la loi c'est la loi. Certains vont même plus loin comme l'illustre une affaire dans laquelle une société se voyait contrainte de raccourcir une haie de thuyas situés à moins de deux mètres de la limite séparative. Pour s'y opposer, elle a été jusqu'à saisir le Conseil Constitutionnel (la plus haute juridiction française, gardienne de la constitution) d'une question prioritaire de constitutionnalité (en principe vous devriez savoir de quoi il s'agit, mais si ce n'est pas le cas suivez le lien, bande d’ignares !). Et quel était son argument principal : le fait que les tribunaux exigent qu'elle coupe ses thuyas porterait atteinte à la Charte de l'environnement qui a valeur constitutionnelle.

Bien entendu, dans sa décision du 7 mai 2014, le Conseil constitutionnel a rejeté cet argument en soulignant que « l'arrachage de végétaux [...] est insusceptible d'avoir des conséquences sur l'environnement ». Pour ma part, j'aurais aimé lire : 
Considérant que la société X se moque du monde en pensant que couper quelques branches porte atteinte à l'environnement; 
Considérant que l'article 32-1 du code de procédure civile qui sanctionne les actions en justices abusives ou dilatoires;
Décide que la société X devrait être sanctionnée financièrement pour avoir fait perdre son temps à la justice, à ses voisins et avoir indûment enrichit ses avocats.
Je crois que je devrais postuler pour siéger au conseil constitutionnel, non ?

vendredi 11 avril 2014

On n'écoute pas les gardés à vue en cellule : le commissariat de police, ce havre de liberté !

Alors que les moyens dont la police dispose pour trouver des preuves se multiplient, les droits des gardés à vue sont renforcés avec, désormais, l'interdiction d'écouter les propos que peuvent s'échanger des suspects lorsqu'ils sont dans leur cellules au commissariat ou à la gendarmerie.
  
L'interdiction des écoutes pendant la garde à vue
Les plaidoiries sont un immense moment de créativité.
Tout le monde sait que, pour les besoins d'une enquête, la police peut placer votre téléphone sur écoute, voire même mettre un mouchard pour vous espionner, mais elle a aussi le droit d'enregistrer votre conversation à votre insu dans un lieu privé ou public (les plus courageux iront lire l'article 706-96 du Code de procédure pénale). Certains trouveront cela scandaleux mais je vous rassure, il existe un lieu où vous allez pouvoir discuter tranquillement de vos méfaits sans pouvoir être écouté : les cellules des commissariats de police ou de gendarmerie !

Eh oui, dans une décision de la cour de cassation du 7 janvier 2014, les juges ont considérés qu'enregistrer les conversations de deux personnes gardées à vue, mises dans des cellules contiguës, était « un stratagème constituant un procédé déloyal de recherche des preuves » qui « porte atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves » prévus par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

En gros, un juge d'instruction avait autorisé la mise en place d'un système d'écoute dans les cellules de deux personnes suspectées d'être impliquées dans un vol à mains armées et, bien sur, ces deux personnes, dont les cellules étaient côte-à-côte, se sont mis à parler et ont tenu des propos qui pouvaient les incriminés. Scandalisés, les avocats se sont empressés de contester les preuves ainsi récoltées en soulignant que, non mais quand même, écouter des gens à leur insu dans les locaux de la police c'était déloyal et contraire au droit de se taire.

Et là, victoire ! La cour de cassation leur donne raison en soulignant que, certes les règles procédurales de la garde à vue et du placement sur écoute ont été respectées, mais que ce qui est interdit c'est « la conjugaison des mesures de garde à vue, du placement [...] dans des cellules contiguës et de la sonorisation des locaux ». Ben oui, c'est vrai quoi, comment la police, sur les ordres d'un juge d'instruction, a-t-elle osé monter un piège aussi sordide et machiavélique ? (pour ceux qui n'auraient pas compris, et je sais qu'il y en a, il y a un peu d'ironie dans mes propos).

Décortiquons un peu. 

Tout d'abord, ce n'est pas le fait de mettre quelqu'un sur écoute qui est sanctionné, c'est le fait d'utiliser un "stratagème", c'est-à-dire d'une ruse destinée à obtenir des preuves. Et là, de quoi parle-t-on ? La ruse consistait à mettre deux gars dans des cellules proches et à les écouter sans les prévenir. J'avoue que niveau ruse, on a déjà vu bien pire. Mais, bon la haute juridiction considère qu'il s'agissait d'un piège, alors circulez! 

Ecouter au porte, c'est mal
Votre mère vous l'avait pourtant dit :
"c'est mal d'écouter aux portes"
Les choses auraient pourtant été très différentes si on avait mis dans une cellule voisine un policier déguisé en malfrat qui aurait essayé de faire parler un suspect, car là il y aurait eut une incitation à s'incriminer. Mais, dans notre affaire, les gardés à vue se sont mis à parler de leur plein gré et ce n'est pas le fait de les avoir mis côte-à-côte qui les a inciter à s'épancher. Et puis, je sais pas moi, mais s'il a bien un lieu où je vais prendre le risque de parler de mes exploits criminels, c'est bien dans un commissariat avec plein de policiers autour de moi (c'est une hypothèse bien sur, je n'ai rien à me reprocher M. le Commissaire).

Ensuite, ce qui a peut être choqué, c'est que les deux gardés à vue soient écoutés à leur insu pendant leur période de repos, c'est-à-dire entre deux interrogatoires. Ben oui, alors que t'es en train de te remettre de tes émotions, les policiers continuent à t'espionner, c'est scandaleux. Le gardé à vue qui est stressé par les interrogatoires, va dans sa cellule pour se détendre et alors qu'il se sent un peu plus en confiance, pan, on le prend par surprise. Si j'avais été leur avocat j'aurais plaidé l'abus de faiblesse !

Enfin, des avocats n'ont pas hésité à dénoncer ce scandale en soutenant qu'il était « choquant que l'on notifie à un gardé à vue le du droit de se taire mais que ce dernier soit enregistré à son insu ». Pourtant, il me semble bien que si on prévient quelqu'un qu'il peut se taire, c'est justement parce que ce qu'il risque de dire pourrait être utilisé contre lui. Et puis, je sais pas moi, mais si on me dit que j'ai intérêt à me taire, je vais pas m'empresser de jacasser ! Enfin, je dis ça, mais c'est sans doute que nos deux gardés-à-vue avaient besoins de se confesser l'un à l'autre, et la confession c'est sacré, ça doit rester secret.

En conclusion, on peut déduire de la décision de la Cour de cassation que lorsque tu es libre, la police peut t'écouter, mais lorsque t'es enfermé dans une cellule, ce n'est pas permis. Ainsi, la liberté de parler est plus grande lorsqu'on est privé de liberté... C'est-y pas logique ça ma bonne dame !

pages prec. suiv.