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samedi 27 septembre 2014

Travail obligatoire en prison : retour sur un marronnier du droit prénal

samedi 27 septembre 2014 | Tags: , , Ajoutez un commentaire
travail obligatoire vs droit au travail
En France, le travail n'est plus obligatoire pour les détenus depuis 1987, mais régulièrement le débat revient au devant de la scène surtout en temps de crise économique car, c'est bien connu ma bonne dame, les prisonniers coûtent cher et ils ne travaillent même pas ! C'est une histoire d'argent en fait car, soyons réaliste, le fait que le travail puisse contribuer à la réinsertion n'est qu'un argument secondaire.

C'est ainsi que le 17 septembre dernier, un député a déposé une proposition de loi  visant à réintroduire l'obligation de travailler en prison. Cela n'a rien de nouveau puisque, par exemple, en 2011, des députés avaient déjà déposés une proposition dans le même sens et ... elle n'a jamais été examinée. Pourquoi, me demanderez vous ? J'imagine que si on interrogeait des députés il nous répondraient : "on n'a pas eu le temps" ou "on a d'autres choses plus importantes à traiter ". 

Pour ceux qui s'offusqueraient d'une telle proposition, je rappelle que, contrairement à ce que vous pourriez croire, le travail obligatoire en prison n'est pas illégal et n'est pas du travail forcé (voir article 4 de la Convention européenne des droits de l'homme). D'ailleurs, de nombreux pays ont adoptés un tel système (Allemagne, Angleterre et Pays de Galles, Hongrie, Italie, Pays-Bas....).

Alors quelles raisons sont avancées pour revenir au travail obligatoire ?

Evidemment, la première est "la charge financière que font peser les détenus sur les finances publiques de notre pays" (dixit le député). Donc, selon lui, en faisant travailler les détenus, nous ferions des économies. Admettons, mais si tous les prisonniers se mettaient à travailler, il faudrait les payer, ce qui fera donc une dépense supplémentaire pour l'Etat. Je vous rassure, à l'heure actuelle, les détenus actifs sont payés très, très, très en dessous du SMIC (entre 20 et 45 % du SMIC). Pourtant, le Code pénal prévoit dans l'article D433 que la rémunération des détenus doit "se rapprocher autant que possible de celles des activités professionnelles extérieures" (ne rigolez pas !)

Evolution du travail en prison
Obligatoire ou non, le travail des détenus n'a
quasiment pas évolué depuis 1978 alors que le
nombre de détenus a presque doublé (source: Sénat)
Poursuivons le raisonnement. Aujourd'hui, nous avons, selon les dernières statistiques d'août 2014 [pdf], un peu plus de 50.000 détenus (en excluant les 17.000 prévenus qui attendent un procès et qui ne seraient pas concernés par la proposition) dont seul 30% travaillent. Même en retenant un salaire de base de 20% du SMIC, on aboutit à :

(1445€ x 20%)x(50.000 x 70%)= 10.115.000 €

Là je vous vois admiratif sur mes compétences en mathématiques. En tout état de cause, cette proposition coûterait donc au bas mot 10 millions d'euros ... Bien sur, le travail fourni aura une valeur pour les "employeurs" (le mot est mal choisi puisque le travail des détenus n'est pas régi par le Code du Travail. Mais, bon, je n'allais pas utiliser les mots esclavagiste ou exploiteur qui, avouez-le, sont quelques peu excessifs), mais la réalité est que la productivité du travail en prison est très faible.

D'ailleurs, qui sont les bénéficiaires du travail des détenus ? D'abord, le service général d’entretien des établissements pénitentiaires (mais là c'est du bénévolat total) et, ensuite la régie industrielle des établissements pénitentiaires ainsi que des entreprises privées qui bénéficient d'une concession. Bien sur, ces bénéficiaires ont une main d'oeuvre bon marché (et sans cotisations sociales ... là, je sens que je commence à intéresser les entrepreneurs) mais les détenus sont nettement moins compétitifs que si vous délocalisiez vos activités car la durée du travail est limitée par des impératifs de sécurité (contrôle, fouilles...) mais aussi par la faible qualification des travailleurs.

Le chômage en prison
Les emplois maquent en prison ... mais certains pensent quand
même à le rendre obligatoire ! J'ai hâte de voir comment on
réussira ce tour de force.
En définitive, une telle proposition risque donc de coûter plus qu'elle ne rapporte ! Donc, exit la justification financière.

Bien évidemment, la proposition de loi contient d'autres motivations, plus philosophiques telles que : l'insertion par le travail, un travail permettrait aux détenus d'indemniser les victimes (et aussi payer les amendes auxquelles ils ont été condamnés ... faudrait pas oublier les caisses de l'Etat). Mais, bon, si vous lisez attentivement le texte, vous comprendrez que cela n'est pris en compte que comme un "effet positif" de la proposition et non comme une justification. Et oui, l'argent avant tout !

Ce qui est intéressant, c'est aussi ce que la proposition de loi ne prévoit pas :
  • D'abord, pas un mot sur le fait le droit du travail ne s'applique pas en prison, et donc que les détenus ne cotisent à l'assurance vieillesse. Donc, même en travaillant pendant 10 ans, cette période ne sera pas pris en compte dans ses droits à la retraite. Il faut d'ailleurs souligner que même la CEDH considère cela normal... alors, pourquoi s'en préoccuper ?
  • Ensuite, que fera-t-on si un détenu refuse de travailler : on le condamnera à une peine supplémentaire (pendant laquelle il serait sensé travailler) ou alors on l'enverra au mitard (qui est aussi en prison, donc il devrait y travailler !).
  • Comme je ne suis pas de mauvaise foi (comment ça, menteur !), il faut dire que si seulement 30% de ces condamnés travaillent en prison, ce n'est pas par manque de volonté, mais par manque d'emploi. En effet, les détenus sont souvent demandeurs car travailler c'est avoir de l'argent et donc pouvoir "cantiner" (s'acheter des choses que la prison n'offre pas). Bref, comme dans le monde libre, il n'y a pas, en prison, des emplois pour tous.
  • Et puis, il faut aussi penser au manque de place et d'infrastructures pour permettre le travail des détenus. Donc s'il faut agrandir les prisons pour que tous les détenus travaillent, cela aura un coût que, bien sûr, la proposition de loi ne prend pas en considération.
Enfin, il ne faut pas perdre de vue que si le travail devenait obligatoire en prison, en revanche, pour l'homme libre (je parle de l'être humain, Mesdames, je ne vous ai pas oubliées), le travail est juste un droit : le privilège de la liberté, c'est que travailler n'est pas obligatoire (bon évidemment, ça n'est vrai que pour les rentiers !). Le prisonnier lui, comme il est forcément méchant, il ne doit pas avoir le choix (non, mais !). Je ne suis pas sûr que les chômeurs (qui sont des fainéants, c'est bien connu) verront d'un bonne œil le fait que l'Etat devra donner du travail à des prisonniers alors que eux ils y ont droit mais ont du mal à en trouver.

Que l'on soit pour ou contre le travail obligatoire des détenus, il n'en reste pas moins que nos législateurs ont une fâcheuse tendance à faire des propositions sans prendre en compte l'ensemble des données du problème. Mais bon, à leur décharge, il faut dire qu'ils oublient souvent de demander leur avis à l'ensemble des acteurs concernés (là, j'écrase une larme de désespoir !).

Pour finir, je vous propose une petite vidéo trouvée sur le site du ministère la justice présentant les vertus du travail en prison, tant pour les détenus que pour entreprises les faisant travailler (j'avoue que je n'ai pas pu m'empêcher de sourire !!).



Et pour les plus courageux, je vous conseil la lecture d'un mémoire de 2007 intitulé "Le travail en milieu carcéral" [pdf], c'est très instructif.

vendredi 12 septembre 2014

Bilan de l'été : ces lois que vous avez manquées !

Alors que vous prélassiez au soleil ou sous la pluie vivifiante qui a égayée cet été 2014, vous êtes passé à coté des lois importantes que votre législateur a eu la bonne idée de faire entrer en vigueur durant vos congés. Certains seront admiratifs devant l'abnégation du législateur qui sacrifie ses vacances, d'autres penseront que faire passer des lois en plein été est un bon moyen pour que personne ne s'en rende compte... mais les plus futés auront noté que toutes ces lois avaient été votée avant les vacances et qu'elles ont simplement été promulgués en juillet / août.

Lecture juridique à la plage
Petit tour d'horizon de ce que vous avez sans doute manqué :

Tout d'abord, dans le domaine économique, on a eu le droit à une loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire qui est en fait un vaste fourre-tout ... voyez-vous même :
  • la première partie de cette loi définit ce qu'est l'économie sociale et solidaire (blabla blabla blabla) et surtout créée un Conseil supérieur, une Chambre française et des chambres régionales de l'économie sociale et solidaire (youpi! plein de nouveaux organismes administratifs) ;
  • ensuite viennent des dispositions visant à "faciliter" la reprise d'une entreprise par ses salariés ce qui est sans doute bien mais la loi ajoute aussi des contraintes (information préalable des salariés, suivi d'un délai pendant lequel aucune vente ne peut avoir lieu sauf au profit des salariés...) qui risque de rendre la transmission d'une société plus compliquée encore ;
  • puis, la loi parle des coopératives avec, inévitablement, la création d'un Conseil supérieur de la coopération ;
  • la loi évoque aussi les assurances et mutuelles, mais là, surprise, aucun Conseil supérieur n'est institué ... faut dire qu'il existe déjà une Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;
  • enfin, tout un pan de la loi est consacré aux associations avec la création ... devinez ! ... d'un Haut Conseil à la vie associative.
Bilan : pas moins de 5 nouveaux organismes administratifs ce qui, à n'en pas douter, va rendre l'économie plus sociale et solidaire (ceux qui n'auraient pas perçu l'ironie dans cette phrase sont condamnés à lire le texte de loi dans son intégralité ! Je sais, la sentence est rude.)

Loi anti Amazon
Une loi anti amazon ou pro libraire ?
Toujours en matière économique, vous avez peut-être entendu parler de la loi du 8 juillet 2014 sur la vente à distance des livres, dite "loi anti-Amazon", dont l'objectif était de rendre les livres plus chers sur internet qu’en librairie. Concrètement, le texte interdit aux sociétés de vente à distance d'offrir la livraison gratuite mais aussi de pratiquer le rabais de 5% sur le prix de vente, cette réduction devenant uniquement applicable aux frais de livraison.

Conséquence, pour un livre qui coûte 10€, si vous l'achetez en librairie vous pourrez l'avoir à 9,5€ alors qu'en l'achetant sur le net vous paierez 10€ plus les frais de livraison (sachant que Amazon, et le FNAC, ont d'ores et déjà réagit en mettant leurs frais de livraison à 0,01€). Donc, il devient théoriquement plus avantageux d'aller en librairie mais il est probable que les gens seront prêt à payer 5% de différence pour pouvoir choisir et se faire livrer un livre sans bouger de chez eux. Reste à voir si ce texte ne sera pas censuré au niveau européen !


La réforme ferroviaire
Pas sur que la réforme ferroviaire
simplifie les choses !
Dans le domaine du droit public et administratif, on a eu le droit à à la réforme ferroviaire du 4 août, grâce à laquelle on pourra se réjouir de la création du Haut comité du système de transport ferroviaire et du Comité des opérateurs du réseau. Et hop ! Deux nouveaux organisme administratifs dont je me passerai bien de vous décrire le rôle et surtout, la manière dont ils seront financés. Pour le reste, la loi touche essentiellement à une réorganisation du système ferroviaire. Ah si, il y a aussi deux nouvelles taxes dénommées la contribution locale temporaire et le versement transport interstitiel... A priori, ce seront des taxes au profit des régions ... et ce seront donc vos impôts locaux qui vont s'en ressentir. Je vous entends déjà râler dès qu'on touche à votre portefeuille. Ça vous incitera peut-être à aller voir de quoi parle cette loi pour savoir ce que devient votre argent (il y aura un bon point pour les courageux qui oseront lire ce texte rébarbatif jusqu'au bout).

Les prêts toxiques
Vu dans un article
du Piment rouge Harnésien
Il y aussi eu la loi du 29 juillet sur la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public. Derrière ce texte, au titre quelque peu énigmatique, se cache les "prêts toxiques" c'est-à-dire des crédits accordés à des collectivités locales avec un enjeu qui avoisine les 17 milliards d'euros. Certains tribunaux avaient estimés qu'en l'absence de mention du taux effectif global (TEG), le taux d'intérêt applicable devait être le taux légal (qui est inférieur à 1%) là où les taux de crédit allaient jusqu'à 9%. Gros manque à gagner donc pour les établissements de crédits. 

Avec cette loi, le législateur vient dire que, même en l'absence de mention du TEG, les prêts sont valides, et ce avec l'aval du Conseil Constitutionnel qui considère que cette loi rétroactive ne pose pas de problème. Et alors me direz-vous, c'est une bonne ou une mauvaise chose ? Question de point de vue : pour les collectivités locales (donc indirectement l'Etat et donc le contribuable), cela signifie qu'elles devront rembourser leurs crédits au taux fort. Pour les établissement prêteurs, c'est un soulagement car cette loi empêchera en principe qu'ils perdent près de 17 milliards d'euros. L'Etat sauve les institutions financières,  encore une fois !


La complexité du droit du travail
Je vous rassure, les deux loi de cet été
ne changeront rien à la complexité du
droit du travail
.
Le droit du travail n'a pas été oublié avec d'abord la loi du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale qui oblige les entreprises étrangères envoyant des salariés travailler en France à respecter certaines règles visant à éviter les fraudes et abus (pour plus de détail voyez cet article). Un texte à la portée très limité puisqu'il instaure une déclaration préalable à l’inspection du travail sous peine d'une amende de 2000€ (tremblez entreprises scélérates !). En outre, la loi concerne uniquement les sociétés étrangère qui détachent des salariés en France alors que le principal problème touchant l'économie française (et de la plupart des pays occidentaux), c'est surtout la délocalisation des entreprises française vers des pays où la main d'oeuvre est meilleur marché. En définitive, derrière un titre aguicheur, on voit mal en quoi cette loi permettrait de lutter contre la concurrence déloyale !

Par ailleurs, il faut noter la loi du 1er juillet sur la procédure prud'homale qui simplifie la procédure en cas de rupture du contrat de travail par un salarié. Un salarié peut démissionner mais il peut aussi décider de rompre son contrat en invoquant une faute de l'employeur (ex: Monsieur le Directeur, ça fait 6 mois que je ne suis pas payé donc je rompt mon contrat de travail à vos torts ... évidemment ça ne marche pas si vous êtes bénévole ou stagiaire). Evidemment, dans ce cas, l'affaire passait généralement devant le Conseil des Prud'hommes pour savoir si la rupture est ou non imputable à l'employeur et si ce dernier devait verser des indemnités au salariés. Comme dans toute procédure prud'homale (sauf quelques exceptions), l'affaire allait d'abord devant le bureau de conciliation avant de pouvoir être jugée, souvent plusieurs mois après (généralement plus d'un an).

Désormais, pour les ruptures à l'initiative du salarié, l'affaire va directement devant le bureau de jugement avec une audience qui se tient dans le mois suivant sa saisine (oui, oui, j'ai bien dit saisine et pas saisie ... faudrait voir à réviser votre jargon !). A quand une généralisation de la suppression du passage (très/trop souvent inutile puisque seuls 7% des litiges sont réglés par la conciliation) devant le bureau de conciliation ? 


Dans le domaine international, nous avons eut la loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale. Un titre long, comme je les aime avec une loi tout aussi longue contenant essentiellement des déclarations de principe sur l'action de la France en matière développement durable dans les pays en développement dans le domaine économique, sociale, environnementale et culturelle. Alors qu'une loi a, en principe, pour objectif de créer des règles, ce texte n'est pour l'essentiel composé que de déclarations d'intention et de définitions d'objectifs politique. Alors pourquoi faire une loi dans ce cas ? La réponse est sans doute dans l'article 4 qui créé un Conseil national du développement et de la solidarité internationale. Et hop, une nouvelle instance administrative qui vient s'ajouter aux centaines d'autres. Je propose la création d'un Haut commissariat du recensement des organismes administratifs qui listera les diverses agences, autorités, conseils, commissions, comités, instituts ...


La justice restaurative
Pour ceux qui ne l'auraient pas compris la
 "justice restaurative" à la française, dérive
d'un concept anglo-saxon
Enfin, dans le domaine du droit pénal, je vous conseil la lecture de la loi "Taubira" du 15 août qui comporte tout une série de réforme : 
  • suppression des peines planchers introduite par le gouvernement Sarkozy, 
  • instauration de la "justice restaurative". Oh, le beau mot barbare que voilà; un terme d'origine anglo-saxonne qui fait sans doute plus in que l'expression "justice réparatrice" qui aurait pourtant eut le mérite d'être plus explicite puisque l'objectif de ce concept est notamment de permettre la réparation des préjudices subis par la victime en facilitant le dialogue avec l'auteur de l'infraction. Mais, bon je dis ça mais c'est vrai que je dois être old school, pour ne pas dire ringard, 
  • création d'un nouveau type de peine appelé la "contrainte pénale" (qui est un mélange de sursis avec mise à l'épreuve et de travail d'intérêt général)

Voilà, c'est finiiiiiii ...

Egalité homme femme
Il n'y aura aucune note de sarcasme
dans cette légende car la parité et l'égalité
des sexes, c'est comme la religion:
difficile d'en rire avec tout le monde!
Oups! Misogyne comme je suis, j'allais oublier la loi du 4 août pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Vous aurez noté l'utilisation du terme "réelle" par opposition à irréelle (ou irréaliste ... re-oups, on va finir par me traiter de sexiste) ou à virtuelle, sans doute pour nous faire comprendre que cette fois, voilà, avec cette loi l'égalité sera totale et on ne ferra plus la différence entre un homme et une femme (enfin, physiquement, restera quand même des dissemblances !). Je ne passe pas en revue toutes les mesures prévues dans ce texte (vous n'avez qu'à le lire comme je l'ai fais, bande de fainéants !), mais j'ai relevé :
  • dans le monde professionnel, les entreprises seront obligée d'engager des négociations sur les écarts de salaires et le déroulement de carrière. Sinon ... ? Bah, on les forcera à négocier : c'est un nouveau concept la "négociation contrainte" !
  • on va remplacer le "complément de libre choix d'activité de la prestation d'accueil du jeune enfant" par la "prestation partagée d'éducation de l'enfant". Formidable changement sémantique (avec un effort de simplification que j'applaudis de mes deux enclumes). Cela concerne l'allocation versée en cas de congé parental. Désormais, si chacun des parents partage ce congé, le couple aura une allocation plus importante que s'il est pris en totalité par le père ou la mère. L'égalité s’immisce donc dans le couple en privilégiant les parents qui se partageront successivement un congé parental (limiter votre liberté de choix pour favorise l'égalité ... cela signifie-t-il qu'être égaux est plus important qu'être libre ?) 
  • le père pourra accompagner la future maman à trois examens médicaux (Messieurs, vous n'aurez plus d'excuse pour refuser d'allez à l'échographie)
  • et puis on a eu droit à la suppression de la notion de "bon père de famille" (une expression d'origine latine désignant quelqu'un qui agit prudemment et avec sagesse) qui est remplacé par le terme "raisonnablement" ... voilà une grande victoire symbolique des mères de familles qui devront malgré tout poursuivre leur combat contre le père Noël, le père Goriot, le père Fouras, le père Fouettard et le père Lachaise.

Cet été aura donc été riche en nouvelles loi, sans compter 8 ordonnance, 645 décrets et 2221 arrêtés en deux mois... ce n'est pas ça l'inflation législative ?

mardi 27 mai 2014

Le don de congés : vous pouviez le faire sans loi, alors légiférons !

Vous avez besoin que vos collègues de travail vous offrent des jours de congés payés pour que vous puissiez être au près de votre enfant malade ? Fort heureusement, vous n'avez pas attendu qu'une loi vous y autorise puisque, dans la pratique et le monde réel, cela pouvait déjà se faire. Sachant que ce que la loi n'interdit pas est permis, quels peuvent bien être les apports de la loi sur le don de congé, adoptée récemment ?

Don de congé payés
Un enfant gravement malade justifie bien un petit geste non?
  • Mesdames et Messieurs les députés, nous avons tous été émus de l'élan de solidarité dont ont sût faire preuve les salariés de la société Phylou & Cie en faisant don, si généreusement, de leurs jours de congés à l'un de leur collègue pour qu'il puisse être aux côtés de son fils gravement malade...
  • Oui, c'est une preuve de la bonté humaine ...
  • Vous avez pu constater que ce geste de fraternité s'est fait spontanément, avec l'accord de l'employeur, alors même qu'aucune loi ne le prévoit. Puisque tout c'est bien passé sans que les législateurs que nous sommes n'interviennent, je propose donc que ... nous fassions une loi ! (Applaudissements dans l'hémicycle)

Ce dialogue n'est malheureusement pas fictif puisque le 9 mai dernier a été adoptée la loi permettant le don de jours de repos à un parent d'un enfant gravement malade. Ce texte avait été proposé en 2011 à l'Assemblée Nationale et s'inspirait de l'histoire d'un salarié de la société Badoit auquel certains de ses collègues avaient fait don de jours de RTT pour qu'il puisse rester auprès de son enfant malade (si vous voulez lire l'histoire et verser votre petite larme, lisez cet article du Monde). En 2012, les députés avaient votés un texte qui a été transmis au Sénat, mais comme la poste marche mal apparemment, il aura fallu attendre deux ans pour que les sénateurs puissent examiner le texte.

Entre temps, plusieurs entreprises, qui n'ont pas attendu qu'une loi soit votée, ont conclu des accords permettant de faire don de jours de repos pour permettre à un salarié d’accompagner un enfant malade. Ce fut le cas notamment dans la société Merial en 2011, dans le Groupe Casino en 2012 [pdf], la mutuelle agricole MSA la même année ainsi que quelques autres.

Alors pourquoi cette loi qui crée deux nouveaux articles dans le Code du travail (L. 1225-65-1 et L. 1225-65-2 ... si une telle numérotation vous étonne, je vous conseil de lire cet article) ? Petit tour des arguments avancés par nos députés et sénateurs pour justifier une loi que rien ne justifiait :
Catherine Deroche, sénatrice
Catherine Deroche
  • car seules les grandes entreprises « où la négociation professionnelle est la plus active [...] offrent à leurs salariés la possibilité de mettre en œuvre ce mécanisme de solidarité. Les salariés des autres entreprises ne disposent d’aucun moyen de faire don des jours de repos dont ils disposent » (propos de Catherine Deroche au Sénat) ... oui, enfin sauf que la loi ne change rien puisqu'il faut l'accord de l'employeur qu'il s'agisse d'une petite ou d'une grande entreprise.
  • car les dispositifs existants (congé de présence parentale, congé de solidarité familiale, congé pour enfant malade) sont insuffisants ... sauf que, dans ce cas, il faut améliorer l'existant plutôt que de créer une loi qui d'ailleurs n'ajoute pas un nouveau dispositif mais se contente de l'inscrire dans un texte.
  • Paul Salen, député
    Paul Salen
    car faire une loi est un moyen « de populariser et favoriser, en autorisant clairement le principe du don de jours de repos rémunérés entre collègues de travail » (propos de Paul Salen lors du débat parlementaire de 2012) ... ah, d'accord, la loi est un support de communication ! Moi qui croyait naïvement que la communication se limitait aux médias traditionnels, je découvre que le Journal Officiel est un outil de communication et de promotion dont l'efficacité ne fait aucun doute.
  • car « même si un texte n’était pas nécessaire, il est à notre sens important, essentiel, que les recours possibles dans des situations de détresse puissent être inscrits dans le corpus législatif, assurant de la sorte une plus grande publicité du dispositif  » (propos de Raymond Durand à l'Assemblée Nationale) ... ça se confirme, la loi sert à faire de la publicité !
Ce dernier député reconnaît donc que cette loi n'était pas nécessaire, ce que confirme d'ailleurs la député Marie-Françoise Clergeau en 2012 en soulignant bien que « aujourd'hui, rien dans la loi n’empêche des salariés de faire don de leurs congés de RTT dans ce même dessein, par exemple, dans le cadre d’un accord d’entreprise. La loi le permet déjà...  ». 

Bon pour être tout à fait honnête, la loi apporte tout de même plusieurs modifications notables : 
  • tout d'abord, les fonctionnaires pourront eux aussi faire dons de leurs congés (ceux qui ont pensés qu'ils en ont déjà trop seront punis) ;
  • ensuite, cela concerne uniquement les enfants des salariés ... si c'est votre mari, votre femme, votre grand-mère ou votre belle-mère ce n'est pas possible ! Pourquoi ? Pour la belle-mère, on comprend mais si c'est pour votre conjoint(e) gravement malade, et bien non vos collègues n'ont pas le droit d'être solidaire (c'est vrai que la solidarité et les enfants malades c'est plus vendeur qu'avec un vieux moustachu qui agonise)
  • par ailleurs, le don sera possible que si l'enfant du salarié à moins de 20 ans ... donc à 21 ans l'enfant malade ne compte plus. C'est vrai qu'après tout, il est majeur à cet âge là et qu'il peut bien s'occuper tout seul de sa maladie quand même !
  • enfin, il faut quelqu'un de « gravement malade nécessitant une présence soutenue ou des soins contraignant » ... et ce sera attesté par un certificat médical. J'imagine déjà le contentieux pour définir la notion de "gravité". 
En revanche, la loi n'a pas prévu les débordements et abus que la pratique des dons de congés va inévitablement générer (ce n'est pas que je sois cynique mais l'expérience m'a rendu lucide sur la nature humaine).  

Pour bénéficier de ces dons, il faudra être très gentil avec vos collègues : n'allez pas pas trop les saouler avec vos ennuis, proposez de faire une partie de leur travail, soyez un bon comédien pour attendrir et/ou faire culpabiliser vos collègues qui ne voudraient pas faire un don pour un pauvre enfant malade. Inversement, vous risquez d'être obligé de négocier un don et là, c'est le début d'un marché noir des congés payés ... Bref, ne risque-t-on pas d’assister à des pressions, à des conflits si des salariés ne peuvent pas, voire ne veulent pas donner des jours de repos ?

lundi 24 mars 2014

Les gros chiffres du Code du travail

Le Code du travail, mais si rappelez-vous, ce livre que la DRH et l'avocat ont toujours sur l'étagère derrière eux car, bon, ça fait sérieux d'avoir des gros livres (alors que tout le monde sait qu'ils vont en secret sur des forums pour avoir des réponses à leurs interrogations ... pour ceux qui ignorent ce qu'est l'ironie et l'humour, tapez ces mots sur votre moteur de recherche). Bref, ce code dont tout le monde connaît l'existence et rarement le contenu... examinons-le.

Le sommaire du Code du Travail fait 99 pages format A4
La capture d'écran de l'impression des 99 pages (format A4)
du sommaire du Code du travail. Rassurez-vous je n'ai pas
lancé l'impression par pure conscience écologiste bien sûr ! 
Comme pour un bouquin, on commence à jeter un coup d’œil au sommaire et là, déjà, on comprend qu'on est face à un poids lourd : si vous tentez d'imprimer le sommaire sur papier A4... hop, 99 pages sortent de votre imprimante (sans compter les bourrages papier), ce qui représente un arbre en moins en Amazonie (c'est pas tout à fait vrai, mais je n'ai jamais dis que j'étais de bonne foi). 

Passées les 100 premières pages donc, vous arrivez enfin au contenu. Si vous êtes avides de connaissances, vous aurez entre 4000 (3562 en 2008 d'après la Mission recodification au ministère de l'Emploi) et 10000 articles (selon le Monde). Manifestement, personne n'a osé les compter et on ne sait qui croire, c'est un peu comme le nombre de manifestants qui varie selon la police et les organisateurs. J'avoue, je n'ai pas poussé ma rigueur jusqu'à aller vérifier l'information en recomptant un à un les articles du Code (Quelle honte direz-vous et vous aurez raison. Vous n'avez qu'à les compter vous même et donner votre chiffre dans les commentaires. Le premier qui trouvera ... est un grand malade ou alors n'a vraiment rien à faire de ses journées!).

Un petit indice tout de même, me laisse penser qu'on est sans doute plus proche des 10000. En effet, le dernier article de la partie législative du Code du travail est numéroté L8331-1. Les connaisseurs diront que j'oublie la partie réglementaire (qui contient les règles d'application des principes contenus dans la partie législative) qui s'achève avec l'article R8323-1. On pourrait donc croire que l'on a donc deux fois 8000 articles, mais là c'est sans compter avec les subtilités des articles qui ne sont pas numérotés de 1 à 8000. A titre d'exemple, on passe de l'article 3 à l'article 1111-1 ! Je sais c'est étrange mais, sur cette question, je vous invite à lire un rapport de 1999 intitulé la numérotation dans la codification [pdf], 82 pages fascinantes (j'exagère un peu, ce qui me fascine surtout c'est que quelqu'un ce soit intéressé à un sujet qui ne me semblait pas mériter plus de quelques lignes. Quel manque de curiosité de ma part!) sur les méthodes de numérotations des Codes dans l'histoire et dans le monde, ainsi que leurs rôles et influences... une véritable thèse donc (comme quoi il est possible de faire des rapports sur à peu près n'importe quoi).

Deux éditions du Code du travail
Deux éditeurs principaux pour un seul
livre qui doit être votre livre de chevet
tant il vous aidera à vous endormir ...
Par ailleurs, la version papier du Code du travail 2013, qu'il soit édité par Dalloz (de couleur rouge) ou Litec (de couleur bleu), pèse pas moins de 1,5 kg ce qui explique que les juristes soient tous musclés et en bonne santé puisqu'ils font du sport en permanence grâce à ces pavés. En outre, avec cette version imprimée, c'est environ 3000 pages de lecture endiablée avec, en bonus, un petit marque-page intégré, qui vous évite de tout reprendre au début.

En plus, bande de veinard, il semble que le code s'enrichisse d'une page de plus tous les trois jours (selon la CGPME), ce qui représente donc un peu plus de 100 nouvelles pages par an. Chaque année vous allez donc pouvoir, et devoir, relire l'intégralité du Code afin de suivre les nouvelles fantastiques et trépidantes aventures de... bon, je m'égare, mais puisque vous êtes sensé connaître la loi, il va bien falloir vous tenir informés, mauvais citoyen va !

Et tout cela n'est que sur la forme, quant au contenu du Code, des auteurs bien plus brillants se sont penchés dessus et puis, moi, il faut d'abord que je le finisse ce livre... où j'en étais ? Ah oui : 
Chapitre III : Infractions aux règles concernant le travail des jeunes et des femmes enceintes, venant d'accoucher ou allaitant
Article R4743-1 : Le fait d'employer une femme enceinte, venant d'accoucher ou allaitant à des travaux interdits, en méconnaissance de l'article L. 4152-1 et des décrets ...ahrrrr pfffff ahrrrr pfffff (bruits de ronflements)

pages prec. suiv.