Une réforme du droit des sociétés étant annoncée, il est demandé aux citoyens de donner leur avis. Le beau progrès que voilà, on ne se contentera pas de râler, mais il sera possible de faire des suggestions... Est-ce vraiment réaliste ?
Vous n'avez jamais pris la peine de lire un texte de loi, ou un projet qui va modifier un certain nombre de dispositions existant déjà dans certains Codes ou dans d'autres lois ou décrets ? Là, vous passez à coté d'une expérience formidable voire mystique.
Vous n'avez jamais pris la peine de lire un texte de loi, ou un projet qui va modifier un certain nombre de dispositions existant déjà dans certains Codes ou dans d'autres lois ou décrets ? Là, vous passez à coté d'une expérience formidable voire mystique.
En effet, il est déjà bien difficile de lire et comprendre un texte législatif (loi, décret, code...), mais lorsqu'il s'agit d'un texte qui doit apporter des modifications à un texte déjà en vigueur cela se présente généralement comme ça :
Décret n° 2014-331 du 13 mars 2014 relatif aux activités prud'homales
Article 1L'article R. 1423-55 du code du travail est ainsi modifié :
1° Au d du 1°, les mots : « à ces » sont remplacés par le mot : « aux » et les mots : « par le règlement intérieur du conseil » sont remplacés par les mots : « au c » ;
2° Le d du 2° est remplacé par un alinéa ainsi rédigé :
« d) L'étude d'un dossier postérieure à l'audience à laquelle l'affaire est examinée et préalable au délibéré par deux membres, l'un employeur, l'autre salarié, de la formation de référé ou du bureau de jugement, qui sont désignés, dans ce cas, par le président du bureau ; ».
(Ceci n'est pas une parodie : allez voir le décret sur Légifrance)
Oui, oui je vous assure c'est ça le droit aujourd'hui : des bouts de mots ou de phrases remplacés dans un texte auquel on fait référence sans prendre la peine de le citer en entier histoire d'être bien sur que l'on ne comprendra rien. Il faut croire que notre législateur (nos parlementaires et surtout les conseillers du gouvernement qui sont les principaux rédacteurs des textes législatifs) ne connaissent pas le suivi des modification de Word. C'est vrai que ce serait dommage de faciliter la tâche des citoyens (et accessoirement des juristes) en leur mettant en évidence les changements apportés à un texte.
Bon comme je suis gentil, j'ai procédé à ce petit travail et l'article 1 du décret ci-dessus pourrait donc se présenter ainsi :
L'article R. 1423-55 du code du travail est ainsi modifié : "Les activités prud'homales mentionnées à l'article L. 1442-5 sont :1° Les activités suivantes, liées à la fonction prud'homale :a) La prestation de serment ;b) L'installation du conseil de prud'hommes ;c) La participation aux assemblées générales du conseil, aux assemblées de section ou de chambre et à la formation restreinte prévue à l'article R. 1423-27 ;d) La participation aux réunions préparatoires(... là je vous épargne une partie du texte)à cesaux assemblées prévuespar le règlement intérieur du conseilau c) ;
2° Les activités juridictionnelles suivantes :
a) L'étude préparatoire d'un dossier, préalable à l'audience de la formation de référé, du bureau de conciliation ou du bureau de jugement, par le président de la formation ou du bureau ou par un conseiller désigné par lui ;
b) Les mesures d'instruction prévues à la section 1 du chapitre IV du titre V du présent livre, diligentées par le conseiller rapporteur, ainsi que la rédaction de son rapport ;
c) La participation à l'audience de la formation de référé, du bureau de conciliation ou du bureau de jugement, ainsi qu'à l'audience de départage ;
d) L'étude d'un dossier postérieure à l'audience à laquelle l'affaire est examinée et préalable au délibéré, lorsque la formation de référé ou le bureau de jugement, hors le cas où ils siègent en audience de départage, la décide et la confie à deux de ses membres, l'un employeur, l'autre salarié ;d) L'étude d'un dossier postérieure à l'audience à laquelle l'affaire est examinée et préalable au délibéré par deux membres, l'un employeur, l'autre salarié, de la formation de référé ou du bureau de jugement, qui sont désignés, dans ce cas, par le président du bureau ;"
Bon bien sur c'est toujours rasoir à lire mais, au moins on peut facilement identifier les changements et le décret que j'ai pris comme exemple devient un peu plus intelligible.
Et dire que l'on nous assure que l'adage selon lequel "nul n'est sensé ignorer la loi" ne signifie pas que l'on doit tout connaître mais, d'après le Conseil Constitutionnel, que tous les citoyens doivent avoir facilement accès aux lois, mais surtout que celles-ci doivent être compréhensibles.
Extrait du site officiel sur lequel votre avis est
sollicité. Bien sûr c'est une consultation "publique"
puisqu'à l'évidence tout le monde comprendra de
quoi il s'agit et pourra donc faire des remarques
constructives et éclairées.
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Alors évidemment, comme on ne va pas révolutionner les bonnes habitudes des rédacteurs de textes volontairement incompréhensibles, une idée lumineuse à vue le jour :
- Eh, Mathieu, j'ai une idée révolutionnaire pour notre projet de réforme du droit des sociétés, s'exclama le quadragénaire conseiller spécial au ministère de la Justice
- Quoi ? Réécrire l'intégralité du Code du Commerce ?
- Mais non... on va demander à tous les français de donner leur avis sur le texte que nous avons rédigé.
Eh oui, le 18 mars dernier, le ministère de la Justice a ouvert une consultation publique sur un projet d'ordonnance dans le cadre de la réforme du droit des sociétés (si, si je vous assure, il faut absolument que vous alliez voire ça).
Ma première réaction fut : en voilà une idée qu'elle est bonne. Au moins les personnes qui pourraient se sentir concernées et qui connaissent un peu le droit des sociétés vont pouvoir faire part de leur réaction avant que le texte ne soit voté et adopté. Je me suis donc empressé d'aller sur le site de cette consultation et là.... horreur et damnation, il s'agit d'un projet illisible même pour les connaisseurs et il faudrait procéder à des recherches longues et fastidieuses pour pouvoir comprendre le projet afin de pouvoir faire des observations.
Et oui, comme vous pouvez le voir sur l'extrait reproduit ci-contre, on vous demande de vous prononcer sur une phrase du genre : le mot : « publicité » est remplacé par les mots « publication des statuts modifiés ». Ben euh... c'est-à-dire que là je ne sais pas très bien quoi en penser. Qu'est ce ça change cette nouvelles rédaction ? Comment je peut avoir un avis la dessus ?
Passé ces quelques secondes d'interrogations et d'effroi face à une telle initiative, ma seconde réaction fut : mais quels fonctionnaires ont bien pu imaginer que le public (n'importe quelle personne qui n'y connait peut être rien en droit et encore moins en droit des sociétés) pourrait se prononcer sur un tel texte. Comment à-t-on pu imaginer deux secondes que des chefs d'entreprise (de la PME à la société multinationale) ou des créateurs d'entreprise, principales personnes pouvant être affectées par ce projet, puissent être en mesure de donner un avis sur une telle réforme. Ils y auraient sans doute intérêt mais je vois mal mon boulanger du coin ou le PdG d'une petite société d'informatique de 10 personnes, qui n'ont pas de formation juridique approfondie, se lancer dans un commentaire de ce texte qui pourtant est destiné à "simplifier et à sécuriser la vie des entreprises" nous dit-on.
En plus, si vous êtes suffisamment masochiste pour vous lancer dans ce travail de compréhension et que vous fassiez un certain nombre de suggestions sur chacun des 45 articles de ce projet de réforme (moi j'ai abandonné), vous ne saurez jamais si cela peut avoir le moindre impact sur le texte final, ni même s'il en sera tenu compte.
Alors à quoi bon ! A la place, je suggère que l'on fasse un référendum avec moult débats télévisés passionnés, conférences et meeting sur un seul des articles du projet :
La question serait : "Etes-vous pour ou contre la suppression de l'article L223-5 du Code de Commerce". Le résultat du référendum serait sans doute : oui : 4% - non 3% - blanc ou nul 93% - Abstention 98%.- Quoi ? Réécrire l'intégralité du Code du Commerce ?
- Mais non... on va demander à tous les français de donner leur avis sur le texte que nous avons rédigé.
Eh oui, le 18 mars dernier, le ministère de la Justice a ouvert une consultation publique sur un projet d'ordonnance dans le cadre de la réforme du droit des sociétés (si, si je vous assure, il faut absolument que vous alliez voire ça).
Ma première réaction fut : en voilà une idée qu'elle est bonne. Au moins les personnes qui pourraient se sentir concernées et qui connaissent un peu le droit des sociétés vont pouvoir faire part de leur réaction avant que le texte ne soit voté et adopté. Je me suis donc empressé d'aller sur le site de cette consultation et là.... horreur et damnation, il s'agit d'un projet illisible même pour les connaisseurs et il faudrait procéder à des recherches longues et fastidieuses pour pouvoir comprendre le projet afin de pouvoir faire des observations.
Et oui, comme vous pouvez le voir sur l'extrait reproduit ci-contre, on vous demande de vous prononcer sur une phrase du genre : le mot : « publicité » est remplacé par les mots « publication des statuts modifiés ». Ben euh... c'est-à-dire que là je ne sais pas très bien quoi en penser. Qu'est ce ça change cette nouvelles rédaction ? Comment je peut avoir un avis la dessus ?
Passé ces quelques secondes d'interrogations et d'effroi face à une telle initiative, ma seconde réaction fut : mais quels fonctionnaires ont bien pu imaginer que le public (n'importe quelle personne qui n'y connait peut être rien en droit et encore moins en droit des sociétés) pourrait se prononcer sur un tel texte. Comment à-t-on pu imaginer deux secondes que des chefs d'entreprise (de la PME à la société multinationale) ou des créateurs d'entreprise, principales personnes pouvant être affectées par ce projet, puissent être en mesure de donner un avis sur une telle réforme. Ils y auraient sans doute intérêt mais je vois mal mon boulanger du coin ou le PdG d'une petite société d'informatique de 10 personnes, qui n'ont pas de formation juridique approfondie, se lancer dans un commentaire de ce texte qui pourtant est destiné à "simplifier et à sécuriser la vie des entreprises" nous dit-on.
En plus, si vous êtes suffisamment masochiste pour vous lancer dans ce travail de compréhension et que vous fassiez un certain nombre de suggestions sur chacun des 45 articles de ce projet de réforme (moi j'ai abandonné), vous ne saurez jamais si cela peut avoir le moindre impact sur le texte final, ni même s'il en sera tenu compte.
Alors à quoi bon ! A la place, je suggère que l'on fasse un référendum avec moult débats télévisés passionnés, conférences et meeting sur un seul des articles du projet :
Article 3
L’article L. 223-5 est abrogé.
Autre possibilité : lancer une consultation pour savoir s'il faut demander au public son avis sur le fait de donner son avis sur tous les textes législatifs à venir... ça serait pas ça la démocratie participative ?
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