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vendredi 11 avril 2014

On n'écoute pas les gardés à vue en cellule : le commissariat de police, ce havre de liberté !

Alors que les moyens dont la police dispose pour trouver des preuves se multiplient, les droits des gardés à vue sont renforcés avec, désormais, l'interdiction d'écouter les propos que peuvent s'échanger des suspects lorsqu'ils sont dans leur cellules au commissariat ou à la gendarmerie.
  
L'interdiction des écoutes pendant la garde à vue
Les plaidoiries sont un immense moment de créativité.
Tout le monde sait que, pour les besoins d'une enquête, la police peut placer votre téléphone sur écoute, voire même mettre un mouchard pour vous espionner, mais elle a aussi le droit d'enregistrer votre conversation à votre insu dans un lieu privé ou public (les plus courageux iront lire l'article 706-96 du Code de procédure pénale). Certains trouveront cela scandaleux mais je vous rassure, il existe un lieu où vous allez pouvoir discuter tranquillement de vos méfaits sans pouvoir être écouté : les cellules des commissariats de police ou de gendarmerie !

Eh oui, dans une décision de la cour de cassation du 7 janvier 2014, les juges ont considérés qu'enregistrer les conversations de deux personnes gardées à vue, mises dans des cellules contiguës, était « un stratagème constituant un procédé déloyal de recherche des preuves » qui « porte atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves » prévus par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

En gros, un juge d'instruction avait autorisé la mise en place d'un système d'écoute dans les cellules de deux personnes suspectées d'être impliquées dans un vol à mains armées et, bien sur, ces deux personnes, dont les cellules étaient côte-à-côte, se sont mis à parler et ont tenu des propos qui pouvaient les incriminés. Scandalisés, les avocats se sont empressés de contester les preuves ainsi récoltées en soulignant que, non mais quand même, écouter des gens à leur insu dans les locaux de la police c'était déloyal et contraire au droit de se taire.

Et là, victoire ! La cour de cassation leur donne raison en soulignant que, certes les règles procédurales de la garde à vue et du placement sur écoute ont été respectées, mais que ce qui est interdit c'est « la conjugaison des mesures de garde à vue, du placement [...] dans des cellules contiguës et de la sonorisation des locaux ». Ben oui, c'est vrai quoi, comment la police, sur les ordres d'un juge d'instruction, a-t-elle osé monter un piège aussi sordide et machiavélique ? (pour ceux qui n'auraient pas compris, et je sais qu'il y en a, il y a un peu d'ironie dans mes propos).

Décortiquons un peu. 

Tout d'abord, ce n'est pas le fait de mettre quelqu'un sur écoute qui est sanctionné, c'est le fait d'utiliser un "stratagème", c'est-à-dire d'une ruse destinée à obtenir des preuves. Et là, de quoi parle-t-on ? La ruse consistait à mettre deux gars dans des cellules proches et à les écouter sans les prévenir. J'avoue que niveau ruse, on a déjà vu bien pire. Mais, bon la haute juridiction considère qu'il s'agissait d'un piège, alors circulez! 

Ecouter au porte, c'est mal
Votre mère vous l'avait pourtant dit :
"c'est mal d'écouter aux portes"
Les choses auraient pourtant été très différentes si on avait mis dans une cellule voisine un policier déguisé en malfrat qui aurait essayé de faire parler un suspect, car là il y aurait eut une incitation à s'incriminer. Mais, dans notre affaire, les gardés à vue se sont mis à parler de leur plein gré et ce n'est pas le fait de les avoir mis côte-à-côte qui les a inciter à s'épancher. Et puis, je sais pas moi, mais s'il a bien un lieu où je vais prendre le risque de parler de mes exploits criminels, c'est bien dans un commissariat avec plein de policiers autour de moi (c'est une hypothèse bien sur, je n'ai rien à me reprocher M. le Commissaire).

Ensuite, ce qui a peut être choqué, c'est que les deux gardés à vue soient écoutés à leur insu pendant leur période de repos, c'est-à-dire entre deux interrogatoires. Ben oui, alors que t'es en train de te remettre de tes émotions, les policiers continuent à t'espionner, c'est scandaleux. Le gardé à vue qui est stressé par les interrogatoires, va dans sa cellule pour se détendre et alors qu'il se sent un peu plus en confiance, pan, on le prend par surprise. Si j'avais été leur avocat j'aurais plaidé l'abus de faiblesse !

Enfin, des avocats n'ont pas hésité à dénoncer ce scandale en soutenant qu'il était « choquant que l'on notifie à un gardé à vue le du droit de se taire mais que ce dernier soit enregistré à son insu ». Pourtant, il me semble bien que si on prévient quelqu'un qu'il peut se taire, c'est justement parce que ce qu'il risque de dire pourrait être utilisé contre lui. Et puis, je sais pas moi, mais si on me dit que j'ai intérêt à me taire, je vais pas m'empresser de jacasser ! Enfin, je dis ça, mais c'est sans doute que nos deux gardés-à-vue avaient besoins de se confesser l'un à l'autre, et la confession c'est sacré, ça doit rester secret.

En conclusion, on peut déduire de la décision de la Cour de cassation que lorsque tu es libre, la police peut t'écouter, mais lorsque t'es enfermé dans une cellule, ce n'est pas permis. Ainsi, la liberté de parler est plus grande lorsqu'on est privé de liberté... C'est-y pas logique ça ma bonne dame !

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